Diego Marcon
FORZA CANI

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Le Consortium
Curated by Stéphanie Moisdon
Torte et Carol. © Diego Marcon. Courtesy the Artist

Né en 1985 à Busto Arsizio, Italie. Vit et travaille à Milan, Italie. 


Remerciements : Galerie Buchholz, Cologne, Berlin, New York; Sadie Coles HQ, Londres.


 

"FORZA CANI", que l’on pourrait traduire par "Allez les chiens !" est le titre performatif que Diego Marcon a choisi pour cette exposition au Consortium Museum. Le dispositif se compose d’une photographie, de dix sculptures en céramique de chiens morts et d’une projection 16 mm en boucle.

L’exposition s’ordonne selon une mécanique qui a sa propre logique : une régularité sans finalité, où les éléments persistent, mesurent les espaces et les vides, dans un retour permanent.

Ce titre est d’autant plus ironique – ou paradoxal – qu’il semble annoncer un élan vital alors que ces dépouilles de chiens sont bel et bien immobilisées, fixées à jamais par leur double condition de cadavres et de sculptures : à la fois réalistes et décoratives, brillantes et polychromes.

L’objectivation brutale de ces êtres domestiques adorables est l’un des ressorts tragi-comiques de la mise en scène, minutieusement pensée en termes de rythme, de scansion et de partition. Accrochées aux murs, les sculptures définissent un espace, entre image, objet et représentation, chargé d’une histoire domestique et culturelle (scènes de chasse ou de sacrifice, études anatomiques, natures mortes), de récits cinématographiques (de Lassie à Rin Tin Tin), et de clichés émotionnels.

Au-delà des procédures formelles, Marcon nous place dans un entre-deux indécidable, forcés d’imaginer les vicissitudes pathétiques, violentes et répétitives qui ont mené à la mort en série de ces pauvres bêtes.

Les premiers chiens morts apparaissent chez Marcon en 2018, dans THEVIEW, un minuscule espace d’exposition situé à Sant’Ilario, juste au-dessus de Gênes, face à un cimetière, donnant sur la mer. C’est aussi le moment où Marcon ébauche le recueil de poèmes Oh mio cagnetto, 2020 — 81 comptines tournant autour de la figure absente et pleurée d’un petit chien. Il ne sait pas d’où vient cette idée, pourquoi elle persiste.

Dans toute son œuvre – films courts en boucle, vidéos, sculptures, installations – Diego Marcon insiste sur l’inutilité à trouver du sens à ses pièces, de s’attacher aux récits, aux personnages ou à leur destinée, invariablement cruelle ou poignante.

Avec lui, tout est toujours une question de langage, de structure et de composition : une structure fondée sur la répétition, comme excès, principe moteur où les sujets les plus dérangeants s’épuisent, s’enroulent sur eux-mêmes, où l’humour surgit de manière incompréhensible d’une scène d’effroi ou de douleur.
C’est un humour de la fixation comme chez Samuel Beckett ou Thomas Bernhard, qui place ces figures intermédiaires – ni tout à fait humaines ni tout à fait inanimées – dans une circularité qui mime la folie par la syntaxe.

Les parents taupes animatroniques de Dolle (2023) épuisent une liste interminable de dépenses, comptables fous, aveugles, indifférents au souffle asthmatique de leur enfant qui agonise juste à côté.

Le père marionnette de la vidéo The Parent’s Room (2021) avoue en chantant le meurtre de toute sa famille, puis son suicide. La neige n’en finit pas de tomber, et la mélodie, portée par des cors et des bois mélancoliques, rythme la musique verbale, hypnotique et comique de cette narration piégée par son obsession macabre.

On retrouve cette même précision morbide dans la vidéo en boucle Fritz (2024) : un jeune garçon en images de synthèse, pendu à une corde, n’en finit pas de mourir. Il gigote, se saisit à la gorge, grimace, tout en continuant de chanter, dans une boucle de yodels. Un léger coup de pieds – détail bouleversant de précision – relance cette chorégraphie éternelle. La scène s’est vidée de toute émotion, le corps de sa substance ; il ne reste que le mouvement.

Les enfants qui meurent, les chiens qui meurent sont des pièges émotionnels, dont Marcon se saisit pour mieux occulter un double fond qui résiste au langage et à la lecture : la dislocation des relations humaines, engluées dans des rapports de classe, d’aliénation et d’incompréhension. L’empathie – ou plutôt son absence – est un véritable motif politique, esthétique de l’œuvre de Marcon, qui ne se manifeste que dans l’effacement et la suspension.

On perçoit quelque chose de cet enfermement social dans La Gola (2024), où la correspondance de deux amants s’exténue dans une ignorance réciproque ; y circule obsession gastronomique, démence, décrépitude physique, solitude et enfermement, où rien, ni dans l’amour ni dans la parole, ne se résout jamais.

— Stéphanie Moisdon

 

Diego Marcon a étudié le cinéma (Scuola Civica di Cinema, Televisione e Nuovi Media, Milan, 2006), les arts visuels et le théâtre (IUAV University, Venise, 2012).
Il a exposé dans de nombreuses institutions (Reneaissance Society, Chicago ; Kunstalle Wien, Vienne ; MADRE Museum, Naples ; Bozar, Bruxelles ; Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam ; FID Marseille ; Fondazione Prada, Milan ; Institute of Contemporary Arts Singapore ; La Triennale di Milano, Milan ; MAXXI Museum, Rome ; Centre international d'art et du paysage, Vassivière ; Whitechapel Gallery, Londres ; Fondation d'entreprise Ricard, Paris...). Son travail a fait l'objet de plusieurs distinctions (Foundation Hernaux Sculpture Award et MAXXI Bulgari Prize en 2018). Ses films ont également été présentés dans des festivals de cinéma (International Rotterdam Film Festival ; Cinéma du Réel, Paris ; Courtisane, Gand ; BFI, Londres ; doclisboa, Lisbonne...).